• DEMOCRATIE ET POUVOIR

    Contribution sur "l'autre démocratie" janvier 2007


    L'alterdémocratie citoyenne et populaire (1), s'inscrit dans une configuration nouvelle qui suppose des changements profonds dans le rapport de force entre les classes. En effet, l'autre démocratie suppose, outre une forte généralisation des outils démocratiques, une réduction du champ du marché et le développement de l'appropriation sociale via l'appropriation publique nationale et les coopératives locales. D'emblée on voit que la démocratie du peuple ne saurait être promu par les dirigeants et possédants. Les bénéficiaires de l'ordre dominant s'accommodent d'une
    démocratie bourgeoise. Autrement dit, ils défendent fermement une démocratie très restreinte qui préserve leurs privilèges de classe et
    ne veulent nullement chercher à appliquer la formule de Lincoln et construire " le gouvernement du peuple, par le peuple et pour le peuple ".



    Outrance ? Diabolisation ? Prenons pour hypothèse que le système démocratique actuel appelle de temps en temps les citoyens à élire des " représentants " qui défendent les intérêts des entreprises et du patronat mais manifestement pas ceux du salariat exploité ni même plus largement ceux du peuple. Plusieurs points sont à soumettre à la critique pour vérifier l'hypothèse :
    Examinons d'abord les conditions de cet appel à voter, mesurons ensuite l'aspect restreint de l'ordre démocratique existant, notamment au temps passé au travail et à la consommation mais aussi en rapport avec l'idée, utopique à ce jour, qu'un citoyen digne de ce nom pourrait
    participer à la planification de la production de biens et services non marchands. Passons à la critique de la représentation (2).
    Examinons enfin les politiques menées par les gouvernements de droite comme gauche(3).



    Est-ce à dire que la démocratie continue de s'inscrire dans la violence et les rapports de force brutaux ? Oui et non.

    L'avancée historique des processus de démocratisation obtenu par les luttes du mouvement ouvrier (4) n'a pas abouti à l'autre démocratie écosocialiste mais a franchi une étape qui est celle de la discussion. Autrement dit la lutte passe par le débat, l'échange d'opinions pour convaincre. Les médias et la professionnalisation de la politique biaisent le jeu du débat qui est loin d'être égalitaire et transparent mais néanmoins la démocratie existante a fait le choix principal de la persuasion, de l'influence idéologique. Cela est à prendre en compte dans les comportements. Discuter n'est pas nécessairement faire le jeu de l'adversaire ou de l'ennemi à condition cependant que les conditions du débat ne soient pas par trop inégales.

    Pour autant la matraque n'est jamais loin. Si la persuasion ne fonctionne pas la répression se met en marche. Le discours sur l'Etat de droit n'empêche nullement la répression, et le changement de forme de l'Etat capitaliste (5): la forme " Etat social " des Trente Glorieuses a cédé la place à l'Etat pénal et pénitentiaire (6) tant en France qu'en Europe. Mais pour les libéraux il y a encore trop de " social " et les exigences de
    rentabilité financière s'opposent au maintien de ce qui subsiste. Dès lors, c'est bien la lucidité qui amène à voir réellement l'acuité extraordinaire des conflits d'intérêts de la classe possédante (7). Ses attaques contre la Sécurité sociale, contre le système solidaire des retraites, contre le système social de la santé fait mettre les peuples dans la rue, ce qui montre tout à la fois l'insuffisance de la démocratie représentative classique, ce que l'on nomme souvent " crise de la représentation ", et la volonté de destruction sociale sans fin via la succession de multiples réformes (8). Mais ce phénomène est masqué.

    La démocratie libérale est intimement liée à l'hypocrisie (9).

    Comme Janus elle a sa face cachée et sa face apparente. Le bon sens ordinaire ne voit évidemment que la face éclairée. La démocratie libérale ne supporte pas la mise à jour de sa face sombre et cachée. Cette tâche de mise à la lumière n'est pas seulement celle des scientifiques mais aussi celle des altermondialistes à l'instar de ce qui a été fait par ATTAC à propos de l'AMI (10).

    Cette vision dialectique de la démocratie et du pouvoir pousse d'une part à articuler contre- pouvoir et prise de pouvoir donc à combiner les tâches de convergence des mouvements sociaux syndicaux et associatifs et valorisation d'un projet altermondialiste non bouclé à l'instar des partis politiques mais qui contient à la fois une certaine idée sur le but alter et des idées surles processus, sur les moyens d'accéder au but . Cette vision gramscienne de la démocratie et du pouvoir pousse d'autre part à sortir d'une compréhension intellectualiste " de salon " afin de lier la discussion sur la prise du pouvoir avec des pratiques collectives fortes.

    Contrairement à Fabrice Flipo (11), je pense ici plus à la mise en mouvement des salariés exploités vers la grève générale que des pratiques " avant-gardistes " comme " l'occupation d'immeubles, la réquisition de nourriture dans les supermarchés, le démontage de Mc Do, la désobéissance civique et autres actions à vocation symboliques ".

    Mais ces pratiques de contestations sociales ne doivent pas être vue comme contradictoires mais complémentaires. Certaines actions touchent
    effectivement au cœur du système fondé sur l'exploitation des salariés et l'appropriation privée des moyens de production et d'échange
    d'autres non mais ce n'est pas une raison suffisante pour mépriser ces dernières.


    La particularité d'ATTAC tient à sa capacité relative (12) à relier les différentes formes de contestations sociales. Cette capacité lui vient de l'hétérogénéité de sa composition interne tant dans ses comités locaux que dans son Collège des fondateurs que son Conseil scientifique.


    Christian DELARUE

    Secrétaire national du MRAP

    Membre du Conseil d'Administration d'ATTAC France



    Notes

    1 – Plusieurs de mes textes portent sur cette autre démocratie citoyenne et populaire. Une conception qui place la barre haut sans pour autant négliger les étapes intermédiaires
    utiles. Mais ces étapes ne constituent pas le but lui-même. Ne pas être" révolutionnariste " (juste formule de Michel Husson) ne doit pas êtrel'alibi du " mouvementisme ". Tenir tous les bouts est possible.


    2 - Revue Pouvoir 1978

    3 – "La stratégie de transformation sociale" de Michel HUSSON 8 mars 2006 lu sur liste attac mais surement sur son site hussonet

    4 – M Husson même texte

    5 - L'Etat n'est pas neutre, il est au service du capital. La prise en compte de l'intérêt général passe d'abord par la soumission à la logique de rentabilité du capital. En
    conséquence, l'Etat n'est pas une " machine " que l'on peut investir et faire tourner " à froid " au profit du peuple.


    - Sur les formes de l'Etat lire

    6 – Etat pénal et pénitentiaire : Les prisons de la misère

    7 - Michel HUSSON même texte

    8 - Michel HUSSON même texte

    9 – Patrick TORT in Le marxisme aujourd'hui , extrait relevé par mes soins et repris dans "la démocratie libérale, l'hypocrisie nécessaire" sur attac 35 et Bellaciao

    10 – L'Accord Multilatéral d'Investissement a cédé à la stratégie de Dracula qui a horreur de la lumière.

    11 – " Eléments sur le pouvoir " de Fabrice FLIPO (diffusion liste ATTAC)

    12 - sans prétention démesurée cependant du fait de son extériorité relative à certaines luttes comme celle des sans-papiers dans certaines villes. Attac ne peut être présent partout.


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