• Odette NILES, la "fiancée" de Guy Moquet

    Odette NILES.

    Elle était la «fiancée» de Guy Môquet, jeune fusillé starisé par Sarkozy. A 84 ans, elle reste communiste et militante.
    DIDIER ARNAUD

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    C'est une dame dont les amis ont donné leurs noms à des rues, des écoles et des gymnases du 9-3. Jean-Pierre Timbaud (elle dit «Tintin»), Danielle Casanova. Et Guy Môquet. Depuis qu'on a lu sa lettre (à lui), on a beaucoup parlé d'elle. La presse l'a transformée en anecdote. C'est la «fiancée» du fusillé. Au camp de Châteaubriant (Loire-Atlantique), quelques semaines avant de mourir, en 1941, il lui a demandé «un patin». Elle ne savait même pas ce que c'était. Il la surnommait «Epinard», nom d'un cheval qui gagnait tout à l'époque, parce qu'elle était bonne à la course. Il lui a donné une bague taillée dans une pièce de monnaie. Sur les photos, elle est belle. Lui aussi.

    Dans la vie d'aujourd'hui, elle n'a pas vieilli. Odette Nilès, 84 ans, est d'abord une petite voix un peu nasillarde qui répond au téléphone sans reprendre son souffle. Quand on l'appelle, elle vous lâche un «vous vous réveillez tard».Chemisier noir et blanc, cheveux gris et lunettes, elle ouvre la porte de son pavillon de Drancy. Cette maison, son mari et son beau-frère l'ont construite de leurs mains, sur ce terrain vague où elle pêchait les écrevisses quand elle était gamine. C'est devenu une impasse coquette, à un quart d'heure à pied du terminus du métro Bobigny. Elle y vit seule. Enfin presque, son petit-fils occupe l'autre aile. Tous les matins, elle conduit ses arrière-petits-enfants à l'école. Le petit-fils lui apporte le Parisien. Elle, c'est plutôt une dose quotidienne de l'Huma. Les communistes, elle ne les abandonnera jamais. «Il faut lutter, dit-elle. Quand on quitte, ça veut dire qu'on abandonne. Je désapprouve tous ceux qui abandonnent, même à l'heure actuelle.» Car Odette est communiste.

    Le jour où le président fraîchement élu a déclaré sa flamme à Guy Môquet, les yeux embués, à Boulogne, au mur des fusillés de la Résistance, elle était devant sa télé. Pas conviée, Odette. Comme Jacqueline, la fille de «Tintin». Le carton est arrivé le lendemain. «C'était comme si on nous disait : vous êtes invitées, mais ne venez pas.» Le président de la République, elle l'a trouvé «gonflé». «La veille, des enfants étaient encore expulsés du territoire français.» En octobre, elle ne s'est pas rendue au lycée Carnot où on lisait la lettre. Beaucoup de gens savaient qu'Odette avait été internée pendant la guerre. Personne ne connaissait sa parenthèse amoureuse. Sauf son mari, Maurice, figure de la Résistance, maire de Drancy pendant trente-sept ans. C'est à Bordeaux, à la fin de la guerre, qu'Odette l'a rencontré. Responsable FTP (francs-tireurs et partisans) de la zone Sud, elle l'épousera peu après. Leur fils, ils l'ont appelé Claude-Guy.

    Odette est une vraie fille de la banlieue rouge. Parents communistes, engagement chez les Jeunes Amis du secours rouge et à l'Union des jeunes filles de France. Ses modèles, elle les a collectionnés en effigies de timbres qu'on distribuait chaque mois aux gamins de l'époque. Rosa Luxemburg, Karl Liebknecht. «Quand on est jeunes, on a besoin d'avoir des héros», dit Odette. Premières armes dans la résistance à 17 ans. Elle distribue des tracts, colle des affiches, participe aux manifestations antiallemandes, renseigne sur les usines occupées. «Il fallait réveiller la population, qui était amorphe et avait très peur», dit-elle. L'engagement est malaisé : les voisins se méfient, les policiers perquisitionnent souvent chez eux. A 18 ans, en allant à une manifestation à Richelieu-Drouot où elle a rendez-vous avec Daniel Casanova, elle se fait arrêter. «On n'avait pas trop l'expérience de la clandestinité. On a dû être dénoncés.»A la prison de la Roquette, elle découvre un monde. Elle avoue aussi sa naïveté. Son enfance est cette période où les filles sont très «tenues». «On sortait toujours avec la mère de l'une d'entre nous.» Elle découvre ce qu'est un «jules». Elle explique que les femmes devaient se laver habillées, et que les prisonnières politiques ont fait changer cela en montrant leurs seins.

    De retour à la vie civile après trois ans de détention dans plusieurs camps, les Nilès se marient. Puis s'installent à Drancy. Il est nommé adjoint au maire ; elle, conseillère municipale. Odette rejoint la mairie d'Aubervilliers pour y être responsable des jeunes et des colonies de vacances. «La fin de la guerre, c'était pas une période joyeuse, dit Odette. Moi qui suis sensible, qui n'aime pas voir tuer un poulet...» Des collaborateurs sont arrêtés, fusillés. Dans l'ancienne mairie de Pierre Laval, «le climat était difficile», dit diplomatiquement Odette. Là, les gens se méfient d'elle. «Ça m'a été très pénible.» Elle qui avait l'habitude d'une «certaine camaraderie» se trouve projetée dans l'ambiance des coups bas. Elle fait une croix sur ses rêves de devenir professeure de gym.

    Une collègue se souvient d'une belle et grande femme qui en impose. «Pas une responsable de service comme les autres, avec une dimension humaine.» On connaît son passé, son caractère bien trempé. Elle ne supporte pas de voir les animatrices boire du café devant les enfants sans rien leur proposer les jours de neige. Militer leur cause des ennuis. Pendant la guerre d'Algérie, les Nilès reçoivent des coups de fils de menace de l'OAS en pleine nuit. Il n'est pas souvent là. Elle le regrette sans trop le dire. Elle mène sa vie de son côté, indépendante. Elle va rarement à la mairie. Maurice la tance gentiment : «Mon mari m'a dit : "Tu viens, sinon les gars vont croire que je suis veuf !"» Même si, ensemble, ils forment un couple très uni. Jusqu'à sa mort, en 2001.

    Elle voudrait oublier la guerre. Son association, l'Amicale de Châteaubriant, la ramène à cela. Une dame - l'ancien agent de liaison de Jacques Duclos - téléphone deux fois par semaine depuis sa maison de retraite où elle s'ennuie à mourir. Odette Nilès se rend dans les lycées et collèges pour raconter ce qu'elle nomme sa «petite histoire». Elle veut que cela serve à quelque chose, rappeler qu'on a «oublié les femmes qui ont fait beaucoup pendant la guerre». Mais elle n'en rajoute pas. «C'est quelqu'un qui nous relie», dit une ancienne collègue de travail. «On honore assez tardivement cette phase de l'histoire, mais on n'est pas des héros», dit Odette. Elle tient cette philosophie : «Ça vous montre que la vie n'est pas faite que de choses bien. On a toujours besoin de lutter pour arriver à quelque chose. C'est une leçon de vie.» Elle reste pudique sur le mal que lui fait la débandade du parti. Une de ses vieilles copines dit que les militants ont été «abusés», notamment sur le rôle de la Russie.

    Quand Odette ne parle pas de ses histoires de la guerre, elle se promène en forêt, lit des policiers («Il faut que ce soit du rapide») et des Agatha Christie. Elle apprécie aussi les documentaires sur la vie des gens et elle tambouille pour ses petits-enfants, qui n'ont jamais le temps de cuisiner. Elle a une santé de fer. Dit qu'elle va moins bien depuis qu'elle a eu son accident vasculaire cérébral. «Je regardais les infos dans le fauteuil, je suis tombée dans le coma.» Elle aimerait faire venir le slameur Grand Corps malade au théâtre de Châteaubriant pour la prochaine commémoration de la fusillade.

    Très résistante
    LIBERATION QUOTIDIEN : vendredi 4 janvier 2008

    http://www.liberation.fr/transversales/portraits/301659.FR.php

     




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