• DONNER LA PRIORITE A LA VALEUR D'USAGE SUR LA VALEUR D'ECHANGE

    C'est souvent que j'évoque la nécessité de donner priorité à la valeur d'usage sur la valeur d'échange. Notamment pour renforcer et étendre la logique de service public dégagée de la logique marchande qui la recouvre et pervertie. Voir par exemple:

    - "Réorienter les services publics pour satisfaire les besoins popûlaires dans les quartiers délaissés" par Christian DELARUE plus sous forme de "commentaires" :
    - L'UNIVERSALISATION DES CRITERES FRANÇAIS DU SERVICE PUBLIC EST-ELLE POSSIBLE?
    et:
    - Contribution complémentaire sur les services publics. de Jean-Yves BECHERIE
    http://bellaciao.org/fr/article.php3?id_article=57185
     

    Ces réflexions s'insère dans "l'économie de la démarchandisation" élaborée notemment par Jean-Marie HARRIBEY, Stéphanie TREILLET et d'autres camarades "économistes critiques" d'ATTAC.

    Pour varier les expressions je laisse la parole à François HOUTART dans l'extrait ci-dessous.

    Extrait de Pour un socialisme du XXle siècle - [Alternatives International] mercredi 12 septembre 2007 par François HOUTART

    http://alternatives-international.net/article1194.html


    DONNER LA PRIORITE A LA VALEUR D'USAGE SUR LA VALEUR D'ECHANGE

    Ces concepts ont été élaborés par Marx et sont passés dans le langage commun. La valeur d'usage est celle qu'ont des produits ou des services pour l'utilisation des personnes et la valeur d'échange est celle que ces éléments acquièrent quand ils entrent dans le marché. Or, la caractéristique du capitalisme est de privilégier la valeur d'échange, comme moteur du développement économique. C'est logique, car seule la valeur d'échange permet de faire du profit et donc de mettre en route un processus d'accumulation.

    Il en résulte une naturalisation du marché, qui n'est plus considéré comme un rapport social. La priorité du marché devient un dogme, dont tout le reste découle automatiquement. Le marché, ou la loi de la valeur, impose sa logique à l'ensemble des rapports humains collectifs et à tous les des secteurs d'activité. Sa loi s'applique y compris dans des secteurs tels que la santé, l'éducation, le sport, la culture. Une telle logique exclut d'autres paramètres, notamment de type qualitatif, telle que la qualité de la vie ou encore ce qu'on appelle des externalités, c'est-à-dire tout ce qui précède ou qui suit le rapport marchand et qui permet à un ensemble de coûts de ne pas être comptabilisés. Donner la priorité à la valeur d'usage signifie donc privilégier l'être humain sur le capital. Une telle priorité comporte une série de conséquences. On peut en citer un certain nombre.

    Si la valeur d'usage est prédominante, on allongera la durée de vie des produits, ce qui, selon Wim Dierckxsens comporte de nombreux avantages. En effet, pour accélérer la rotation du capital et contribuer à l'accumulation, la vie des produits a été réduite. Leur allongement permettrait d'utiliser moins de matières premières et moins d'énergie, de produire moins de déchets et donc de mieux protéger l'environnement naturel. Il permettrait aussi de diminuer l'influence du capital financier.

    La même logique permettrait d'accepter des prix différentiels pour les mêmes produits, industriels ou agricoles, selon les régions du monde. Actuellement, la loi du marché exige que l'on s'aligne mondialement sur les prix les plus bas, notamment en agriculture, c'est-à-dire ceux des régions qui pratiquent une agriculture productiviste de type capitaliste (souvent également subsidiée et donc entrant dans une politique de dumping). En effet, des arguments liés à la valeur d'usage peuvent justifier des prix différents, qui contredisent le dogme du marché. Pourquoi faut-il que le riz ait le même prix aux Etats-Unis ou à Sri Lanka, si dans ce dernier pays le riz fait partie de l'histoire et de la culture et si sa production est une exigence pour la souveraineté alimentaire. De telles considérations n'entrent pas dans la logique du marché, mais bien dans celle de la valeur d'usage.

    On pourra aussi relocaliser les productions et éviter de nombreux coûts de transport, qui sont dommageables pour l'environnement et provoquent dans de nombreux endroits du monde une congestion des voies communication et même une paralysation des routes et autoroutes.

    Valoriser la valeur d'usage permettra également de favoriser l'agriculture paysanne, elle-même pourvoyeuse d'un emploi important. Si nous prenons le secteur des services, on se rend compte que l'éducation sera redéfinie prioritairement en fonction des personnes et non pas du marché et que la production de médicaments devra s'effectuer en rapport avec les maladies existantes dans l'ensemble de l'univers et non pas en fonction de la rentabilité de leur vente.

    Prioriser la valeur d'usage signifie donc se centrer sur la vie humaine. Il sera impossible de laisser pour compte 20 ou 30% de la population mondiale vivant dans l'indigence, parce qu'elles constituent des « foules inutiles », ne contribuant pas à produire une valeur ajoutée et n'ayant pas de pouvoir d'achat. Elle permettra aussi de ne pas vulnérabiliser le reste des populations, en dehors des privilégiés, car ce sont les besoins humains qui deviennent le moteur de l'économie. Inévitablement cela signifie également l'établissement de mécanismes de redistributions de la richesse et la généralisation de la sécurité d'existence.

    Une telle perspective exige évidemment une nouvelle philosophie de l'économie. On ne peut plus définir l'économie simplement comme une activité produisant de la valeur ajoutée, mais on devra revenir à sa définition fondamentale qui est de produire la base matérielle nécessaire à la vie physique, culturelle et spirituelle de tous les êtres humains dans l'ensemble de l'univers. Finalement cela débouche sur une éthique de la vie, c'est-à-dire la nécessité d'assurer la base vitale pour tous. Dans une certaine mesure le socialisme avait réalisé ce changement de perspectives, mais il fut rapidement submergé par le désir d'entrer en compétition avec le capitalisme.

    Lire la suite sur:

    http://alternatives-international.net/article1194.html

    Comme critères d'une autre production : Cf. « Une autre économie orientée vers le développement humain »

    http://rennes-info.org/Une-autre-economie-orientee-vers.html




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  • Stéphanie TREILLET et Jean-Marie HARRIBEY deux économistes critiques d'ATTAC 

    LE TRAVAIL PRODUCTIF DANS LES SERVICES NON MARCHANDS ET L'IMPOT [1]

    Jean-Marie Harribey

    http://www.france.attac.org/spip.php?article7995

    La manière dont s'est conclu le « Grenelle de l'environnement » doit être prise comme un indice supplémentaire d'un commencement de changement de stratégie des classes dominantes dans le monde à l'égard de la dégradation de l'environnement et du changement climatique. Comme le capitalisme se heurte à la barrière de l'énergie et de la nature en général, il va bien lui falloir réagir. Le principe qui se dessine peut être résumé ainsi : il faudra en passer par payer le prix de la raréfaction des ressources et de la dégradation générale, et donc, mettre tôt ou tard en place une fiscalité écologique, à côté d'éventuelles autres mesures. Mais, pour ne pas heurter de plein fouet l'un des dogmes néolibéraux qui s'est imposé depuis trente ans, cette fiscalité spécifique ne devra pas alourdir la fiscalité globale. Au nom de la « neutralité fiscale », elle devra être conçue en remplacement d'autres impôts. On le devine aisément, ce qui est visé, c'est, une fois de plus, la cotisation sociale, considérée comme un coût, une charge. Fiscalité écologique, oui puisque nous y sommes obligés ! Mais en baissant le « coût du travail » ! [2]

    Le mouvement social et en particulier le mouvement altermondialiste – on verra pourquoi plus loin pour celui-ci – se trouvent donc confrontés à un redoutable problème. Comment donner une légitimité nouvelle à l'impôt, à la cotisation, en bref aux mal nommés « prélèvements obligatoires », à une époque où ils sont considérés comme autant de freins au dynamisme économique, à la « réforme » et bien sûr à la compétitivité dans la concurrence mondiale ? Comment disposer des ressources nécessaires pour assurer l'accès universel aux biens communs de l'humanité ainsi qu'à la protection sociale, et non pas l'un à la place de l'autre ? Et cela, d'autant plus que ces besoins, tant sociaux qu'en matière de préservation de l'environnement iront croissant.

    La réponse à ces questions oblige à réexaminer la nature de l'impôt et, au-delà, celle de tout prélèvement. Les interprétations que l'on en donne traditionnellement, à gauche s'entend, ne sont peut-être pas à la hauteur des enjeux. Il s'agit donc d'une réouverture d'une question d'économie politique. Et pas n'importe laquelle : économie politique critique, à vrai dire « critique de l'économie politique ».

    Le premier mot d'ordre du mouvement altermondialiste fut, il y a dix ans : « le monde n'est pas une marchandise », sous-entendu « il ne doit pas l'être ». Comment contrer la délégitimation dont sont l'objet tous les services non marchands, notamment l'éducation publique et l'accès universel aux soins, depuis que le capitalisme a entrepris d'en réduire le champ pour élargir par là même celui de l'accumulation privée ?

    L'enjeu théorique et politique est d'importance au moment où l'altermondialisme s'interroge sur les moyens que les travailleurs et les peuples pourraient mettre en œuvre pour battre en brèche la logique de la rentabilité du capital et de la marchandisation.

    Au sein de la théorie économique libérale, règne la thèse du caractère parasitaire de l'activité publique non marchande financée par prélèvement sur l'activité marchande des agents privés qui, de ce fait, se voit limitée (par l'effet d'éviction et la montée des taux d'intérêt). La conséquence normative de cette approche est de verrouiller la politique monétaire, notamment en interdisant la monétisation des déficits publics, obligeant les États à emprunter sur les marchés financiers.

    Le marxisme traditionnel peut-il aider à dépasser l'aporie précédente ? Malheureusement, il existe un trou noir en son sein. Certes, l'analyse de la marchandise ouverte par Marx au début du Capital donne les outils conceptuels pour critiquer le processus de marchandisation du monde. Mais le marxisme a laissé en jachère ce qui pourrait en constituer le rempart : il n'existe pas d'économie politique critique dont l'objet serait de théoriser une sphère non marchande ayant pour vocation de s'étendre au fur et à mesure que les rapports de forces tourneraient à l'avantage du travail face au capital.

    Au sein de la théorie marxiste, la conviction du caractère improductif des travailleurs fournissant les services non marchands – quand ce n'est pas des services tout court – est solidement enracinée : ils sont financés par prélèvement sur la plus-value capitaliste. Penser dans ces conditions la démarchandisation est impossible puisque la non marchandise dépendrait de l'existence de la marchandise. Quant à l'alliance de classes entre les travailleurs des deux sphères, elle est donc hautement improbable.

    L'objectif est ici de contribuer à construire une économie politique de la démarchandisation de la société en examinant brièvement deux points : comment établir le caractère productif du travail effectué dans les services non marchands ? quels éléments sont controversés ?

    1. Le caractère productif du travail dans les services non marchands

    La définition du travail productif n'a de sens que relativement aux rapports sociaux dominants. Ainsi, la distinction de Marx entre procès de travail en général et procès de travail capitaliste garde toute sa pertinence pour différencier le travail productif de valeurs d'usage et le travail productif de valeur et de plus-value pour le capital. Il est crucial également de rejeter la matérialité ou l'immatérialité du produit comme critère de définition du travail productif. Marx explique : « Le fait, pour le travail, d'être productif n'a absolument rien à voir avec le contenu déterminé du travail, son utilité particulière ou la valeur d'usage particulière dans laquelle il se matérialise. » [Marx, 1968-c, p. 393]. Seuls doivent entrer en ligne de compte la nature du rapport social qui est noué à l'occasion de la production des biens et des services et le caractère ou non de marchandise de ces biens et services. S'il s'agit d'un travail salarié produisant des marchandises, il est productif de capital (et, dans le même temps bien sûr, de valeur et de revenu correspondant). S'il s'agit d'un travail salarié produisant des services non marchands, il ne produit pas de capital. Produit-il le revenu qu'il perçoit ? Non, répondent à l'unisson le libéralisme, le marxisme traditionnel, de même que certains théoriciens du capitalisme cognitif [3] : tous laissent en suspens la question de savoir sur quelle base non réalisée serait prélevé le revenu versé. Nous proposons de montrer que, lorsque les besoins collectifs sont anticipés, le travail qui y est consacré produit les valeurs d'usage désirées, il produit aussi leur valeur monétaire non marchande et le revenu distribué correspondant.

    Au sein du mode de production capitaliste, la plupart des valeurs d'usage se présentent sous la forme monétaire, mais certaines sont marchandes et les autres ne le sont pas. Schématisons une économie de la manière suivante. Les forces productives sont partagées entre un secteur marchand capitaliste produisant des biens de production et des biens de consommation et un secteur non marchand produisant des services collectifs. La présentation habituelle selon laquelle, en termes libéraux, l'État prélève une part du fruit de l'activité privée pour financer ensuite les dépenses collectives, ou, en termes marxistes orthodoxes, il prélève une part de la plus-value produite par les travailleurs salariés du secteur capitaliste, est-elle recevable ou aboutit-elle à une impasse logique ?

    L'anticipation des besoins collectifs

    Il y a dans toute formation sociale dominée par le capitalisme deux catégories d'agents producteurs : les entreprises privées et la collectivité publique. Comme l'expliqua Keynes, les premières décident de produire quand elles anticipent des débouchés – la demande dite effective qui assure un certain niveau d'emploi – pour leurs marchandises qui répondent à des besoins solvables. Elles réalisent alors des investissements et mettent en circulation des salaires. La vente sur le marché valide cette anticipation, la mévente la sanctionnerait. Quant aux administrations publiques, anticipant l'existence de besoins collectifs, elles réalisent des investissements publics et embauchent aussi. Dans ce second cas, la validation est effectuée ex ante par une décision collective et se confond avec l'anticipation. Dans les deux cas, l'injection de monnaie sous forme de salaires et investissements privés et publics lance la machine économique et elle engendre la production de biens privés marchands et de biens publics non marchands. De la même façon que les salaires versés vont ensuite être dépensés pour acheter les biens marchands, le paiement de l'impôt vient, après que les services collectifs sont produits, exprimer l'accord de la population pour que soient assurées de façon pérenne l'éducation, la sécurité, la justice et les tâches d'administration publique. L'anticipation de services non marchands et leur production par les administrations publiques précèdent donc logiquement leur « paiement » de type collectif par les usagers que l'on peut assimiler à un prix socialisé. En termes post-keynésiens, on dirait que de la monnaie reflue à son point de départ.

    Pour appuyer ce raisonnement, effectuons un raisonnement du type « passage à la limite » : imaginons que, dans cette économie, la propriété privée des moyens de production tende à disparaître et où, en conséquence, la proportion de la propriété publique tende vers un. La place des travailleurs productifs de valeur pour le capital se réduit alors jusqu'à disparaître. Ne subsistent que des travailleurs improductifs de capital. Dira-t-on que le travail de ces derniers est échangé contre du revenu prélevé sur la plus-value extorquée aux travailleurs productifs de capital... qui ont disparu ? Ce serait absurde. A cette contradiction logique, il faut donc trouver une solution logique : reconnaître que le travail peut être improductif de capital tout en étant productif de produit et de revenu nouveaux.

    Cependant, il faut encore distinguer, dans ce cas où la production est totalement publique, la part marchande et celle non marchande, cette dernière pouvant être considérée, selon la norme habituelle, comme financée par les surplus prélevés sur la première, l'État accumulant ainsi du capital dont une fraction serait destinée à cet emploi. Le raisonnement à la limite doit être alors appliqué à l'évolution relative des productions marchande et non marchande. Si la collectivité décide de socialiser progressivement le financement de toute la production pour lui donner le caractère non marchand, la production marchande de plus en plus réduite ne peut être tenue pour la source de celle qui n'est pas marchande. Par ailleurs, si la distinction entre production matérielle et production immatérielle était envisagée pour faire de la première la source de la seconde, dans la mesure où l'une tend à décliner relativement à l'autre, cette considération se heurterait à la même objection que précédemment. Aussi, de manière générale, l'idée selon laquelle une part croissante de l'activité de production de valeurs d'usage est financée par une autre activité en régression relative continue est insoutenable.
    Prenons l'hypothèse inverse où l'éducation serait privatisée et soumise à l'exigence de rentabilité du capital. La production pour le capital augmenterait alors que production tout court et revenu seraient inchangés, voire, dans une perspective dynamique, diminueraient à terme si les classes pauvres dont la propension marginale à consommer est plus forte se voyaient privés d'accès aux services éducatifs devenus marchands.

    Une critique radicale des dits « prélèvements obligatoires » devient dès lors possible, non point pour délégitimer les services collectifs à l'instar de la doctrine libérale, mais pour critiquer celle-ci dans la mesure où l'idée même d'un prélèvement préalable à la production des services collectifs non marchands est une aporie, et du même coup critiquer la vision marxiste la plus couramment rencontrée.

    Le bouclage macro-économique


    A l'aporie dénoncée ci-dessus s'ajoute une autre difficulté non surmontée par la présentation habituelle : celle du bouclage macro-économique que seule une vision marxienne-kaleckienne-keynésienne permet de résoudre. Admettons pour un instant la présentation habituelle : en termes libéraux, l'État prélève une part du fruit de l'activité privée pour financer ensuite les dépenses collectives ; en termes marxistes orthodoxes, il prélève une part de la plus-value produite par les travailleurs salariés du secteur capitaliste. Pour qu'une part de la plus-value soit prélevée, il faut au préalable que la plus-value dans son ensemble ait été réalisée, c'est-à-dire qu'elle ait déjà revêtu la forme du profit monétaire.

    Or, on sait que le profit monétaire n'est pas possible macroéconomiquement sur la seule base des avances monétaires des capitalistes. Cette contradiction n'est résolue que par l'existence d'un système bancaire qui, grâce à la création monétaire, fait l'avance du profit au système productif capitaliste permettant la réalisation de la plus-value sur le plan macroéconomique et, ainsi, l'accumulation du capital. [4] On retrouve dans ce qui précède une idée commune à Marx [1968], Luxemburg [1972], Kalecki [1966, 1971], Keynes [1969] et Schumpeter [1934]. On peut montrer en effet que la reproduction élargie de période en période a lieu si la création de monnaie de banque centrale est supérieure à la thésaurisation des ménages. Dans le cas où il n'y aurait pas de création de monnaie centrale, pour qu'il y ait tout de même accumulation et reproduction élargie, les ménages devraient déthésauriser, ce qui équivaudrait à une réintroduction de monnaie dans le circuit, monnaie qui en avait été soustraite. Alain Barrère [1990, p. 28, souligné par l'auteur] énonçait ainsi ce qu'il appelait une règle du circuit : « Le circuit est un processus circulatoire de flux de liquidités monétaires itératifs, qui peuvent se muer en d'autre formes monétaires mais ne peuvent engendrer de nouvelles richesses liquides. (...) Ce qui signifie qu'en fin de circuit on ne peut trouver plus de richesse qu'il n'en a été introduit en un point quelconque de l'itinéraire. On ne peut donc découvrir, au terme du circuit, un profit monétaire, dont le montant n'aurait pas été intégré, sous une autre forme-monnaie, en un point quelconque du processus circulatoire. » Il y a un corollaire à cette règle que je formule ainsi : aucune forme de monnaie, à prix fixés, ne peut être introduite en un point quelconque du circuit si elle ne correspond pas à une production réalisée ou anticipée, c'est-à-dire à une valeur ou à une valeur pré-validée, ou encore à du travail social déjà reconnu utile ou dont la reconnaissance est anticipée.

    Dès lors, le système bancaire, voire les rentiers potentiels, anticipant la production et la réalisation de la plus-value anticiperaient du même coup la part qui pourrait être prélevée par l'État. Cependant, cette solution, qui permettrait simultanément le profit et la reproduction élargie du système capitaliste, ne résout pas la contradiction propre aux « prélèvements ».

    En effet, dans la problématique du prélèvement de quelque chose existant préalablement, la valeur ajoutée nette (ou produit net) est la même qu'il n'y ait pas d'État ou qu'il y en ait un puisqu'il y a un simple transfert de valeur de la sphère capitaliste considérée comme seule productive vers la sphère non marchande considérée comme improductive. Ainsi, l'intervention de l'État n'aurait aucune action sur le produit net. On est bien en pleine problématique libérale que le multiplicateur keynésien et théorème d'Haavelmo visaient à contredire. Plus récemment, les théoriciens de la croissance endogène ont mis en évidence l'existence d'externalités positives engendrées par l'État. Cependant, l'éducation et la diffusion des connaissances dans lesquelles s'implique l'État sont vues comme créatrices de richesses par les externalités positives qu'elles engendrent mais non par leur apport direct indépendamment de leurs effets externes.

    Anticipation, financement et paiement, trois stades de la dynamique de reproduction


    L'expression « les impôts financent les dépenses publiques » est trompeuse. L'ambiguïté provient de la confusion entre financement et paiement. La production capitaliste est financée par les avances de capital en investissements et salaires, avances dont la croissance sur le plan macro-économique est permise par la création monétaire, et les consommateurs paient. Quel rôle joue l'impôt vis-à-vis de la production non marchande ? Il en est le paiement socialisé. Le contribuable ne « finance » pas plus l'école ou l'hôpital que l'acheteur d'automobile ne « finance » les chaînes de montage d'automobiles. Car le financement est préalable à la production, que celle-ci soit marchande ou non marchande. Et le paiement, privé ou socialisé, lui est postérieur. De plus, l'activité productive supplémentaire engendre un revenu supplémentaire et donc une épargne supplémentaire qui reflue et vient s'ajuster à l'investissement supplémentaire déclencheur, tant privé que public. La confusion entre financement préalable et paiement est du même ordre que celle que critique Franck Van de Velde [2005, p. 99] : « La notion de "fonds prêtables" elle-même procède d'une confusion entre le préfinancement bancaire de la production de biens d'équipement et le financement définitif de l'investissement par l'épargne. »

    On pourrait objecter que les impôts d'une année servent à payer les dépenses publiques de l'année suivante et ainsi de suite. Mais cet argument déplace la discussion du plan logique au plan historique et la recherche d'une chronologie débouche sur une impasse. Il convient donc d'apporter une réponse logique à un problème d'ordre logique : l'économie capitaliste étant une économie monétaire, pourrait-on effectuer des prélèvements sur une base qui n'aurait pas encore été produite et, pis, qui devrait résulter de ces prélèvements ? Puisque c'est logiquement impossible, le retournement s'impose : la production non marchande et les revenus monétaires qui y correspondent précèdent les prélèvements.

    Certes, le paiement de l'impôt permet – tout comme les achats privés des consommateurs – au cycle productif de se reproduire de période en période. Mais il y a deux impensés dans l'idéologie libérale. Premièrement, il faut rappeler que ce sont les travailleurs du secteur capitaliste – et non pas les consommateurs – qui créent la valeur monétaire dont une partie sera accaparée par les capitalistes, et ce sont les travailleurs du secteur non marchand – et non pas les contribuables – qui créent la valeur monétaire, quoique non marchande, des services non marchands. Deuxièmement, au sens propre, le financement désigne l'impulsion monétaire nécessaire à la production capitaliste et à la production non marchande et l'impulsion monétaire doit être donc distinguée du paiement.

    Contrairement à l'opinion dominante, les services publics ne sont donc pas fournis à partir d'un prélèvement sur quelque chose de pré-existant. Leur valeur monétaire, mais non marchande, n'est pas ponctionnée et détournée ; elle est produite. Dès lors, dire que l'investissement public évince l'investissement privé n'a pas plus de sens que dire que l'investissement de Renault évince celui de Peugeot-S.A. ou d'Aventis. Dire que les salaires des fonctionnaires sont payés grâce à une ponction sur les revenus tirés de la seule activité privée n'a pas plus de portée que si l'on affirmait que les salaires du secteur privé sont payés grâce à une ponction sur les consommateurs, car ce serait ignorer que l'économie capitaliste est un circuit dont les deux actes fondateurs sont la décision privée d'investir pour produire des biens et services marchands et la décision publique d'investir pour produire des services non marchands. L'impôt n'est donc pas un prélèvement sur de la richesse déjà existante, c'est le prix socialisé d'une richesse supplémentaire.

    En d'autres termes, les prélèvements obligatoires sont des suppléments obligatoires consentis socialement et leur paiement permet qu'ils soient renouvelés de période en période. Mais la pérennité de la production de services collectifs se heurte à une contradiction que seul le débat démocratique peut aider à dépasser : la demande de services collectifs par la société n'est qu'implicite car il existe un écart entre le consentement collectif à leur existence et les réticences individuelles au paiement de l'impôt qui sont nourries à la fois par les profondes inégalités devant celui-ci et par la croyance, entretenue par l'idéologie libérale, que le paiement de l'impôt est contre-productif et spoliateur.

    En rendant explicite la demande implicite de services collectifs et de protection sociale, l'Etat en fait un principe d'action dont la logique avait été posée par Keynes. Pour en asseoir la théorie, il suffit d'élargir son concept d'anticipation aux décisions de dépenses publiques : celles-ci sont prises au nom du principe que nous appelons principe de la demande implicite anticipée des services collectifs.

    A ce stade, il faut sortir d'une analyse purement économique pour intégrer les rapports sociaux au cœur de la compréhension du fonctionnement du circuit capitaliste. Les riches veulent être moins imposés parce qu'ils ne veulent pas payer pour les pauvres. Mais pourquoi la politique monétaire est-elle verrouillée par <?xml:namespace prefix = st1 /><st1:PersonName productid="la Banque" w:st="on">la Banque</st1:PersonName> centrale européenne et le projet de traité constitutionnel européen interdisait-il aux Etats d'emprunter auprès d'elle ? Le projet de traité constitutionnel consacrait – et le nouveau « traité modificatif » conforte – l'interdiction faite aux Etats d'emprunter auprès de <st1:PersonName productid="la Banque" w:st="on">la Banque</st1:PersonName> centrale européenne, non pas pour payer les dépenses publiques mais pour les financer, c'est-à-dire en faire l'avance. L'idéologie libérale est hostile à ce que la création monétaire finance une production qui ne rapporterait pas un profit. Sauf si l'Etat comble ses déficits en empruntant auprès des détenteurs de capitaux qui, en outre, bénéficient de facilités de crédit bancaire pour prêter ensuite. C'est ainsi que l'équivalent de plus de 80% de l'impôt sur le revenu en France part en intérêts aux créanciers.

    .../...

    Le travail de Jean-Marie HARRIBEY se poursuit ici en réponse à trois objections de Jacques BIDET ainsi que par des remarques à un texte de Bernard FRIOT sociologue et économiste spécialiste des retraites, et défenseur du salaire socialisé.

    http://www.france.attac.org/spip.php?article7995

    .../ ...

    Quelle convergence ?

    Le fond de cette affaire est bien dans le type des rapports sociaux qui préside à la production de valeur et à sa validation. L'articulation entre production et validation me paraît résider dans le fait monétaire. La monnaie considérée comme l'institution sociale sans laquelle, premièrement, la vente sur le marché de la marchandise ne pourrait avoir lieu, c'est-à-dire la valeur ne serait pas validée en même temps que l'anticipation capitaliste, et sans laquelle, deuxièmement, l'anticipation et la validation conjointes des besoins collectifs ne pourraient être inaugurées. La monnaie est un opérateur social d'homogénéisation.
    La question de la validation est une question-clé. Aussi bien pour ce qui concerne la marchandise que pour les services non marchands. Pour la première, la validation procurée par la réalisation de la valeur (théorisée par Marx) est une conséquence attendue mais hypothétique de l'anticipation (théorisée par Keynes) ; elle n'obéit qu'à la loi du marché. Parce qu'elle trouve acquéreur pour sa valeur d'usage, la marchandise est validée en tant que valeur. Marx disait que la valeur d'usage était une « porte-valeur ». Pour les services non marchands, l'adéquation entre l'anticipation et la validation pose évidemment les problèmes de la pertinence sociale du choix et de son caractère démocratique, mais ce n'est pas l'objet de la théorie esquissée ici. La question abordée est celle du travail immédiatement social, c'est-à-dire validé ex ante. Le fait que les économistes néo-classiques ne pensent pas la monnaie devrait nous rendre méfiants et nous aider à reprendre un programme de critique de l'économie politique sur la question du non marchand.

    Conclusion : en quoi l'altermondialisme peut-il trouver dans cette discussion une armature théorique ?

    Une économie politique mettant en évidence le caractère productif du travail dans les services non marchands peut contribuer aux clarifications nécessaires parce qu'elle vise à légitimer l'existence et le développement d'une sphère non marchande. On sait à quel point les représentations collectives jouent un rôle dans la transformation des sociétés lorsqu'elles « deviennent des forces matérielles ».
    La défense des services publics et bien davantage encore de ceux fournis sur base non marchande, ne possède pas jusqu'ici de justification autre qu'éthique. La préservation de l'environnement est trop souvent présenté sur un plan moralisateur, au risque d'en dépolitiser l'enjeu. Or on ne construit pas une politique sur une base seulement morale. D'ailleurs, l'argumentaire libéral se garde bien de se placer sur ce terrain. Il entend porter le fer au niveau de la raison en fustigeant le soi-disant caractère parasitaire, contre-productif, ou tout simplement improductif de l'activité humaine sur laquelle le capital n'a pas de prise. C'est donc à ce niveau de discussion qu'il faut nous situer. Et, sur ce plan-là, seule une théorie de la valeur et du travail productif, à partir d'un réexamen des catégories utilisées traditionnellement par le marxisme, est en mesure de proposer une économie politique de la démarchandisation. A condition d'effectuer un retour à Marx pour distinguer le cadre abstrait du modèle capitaliste pur où il n'y a de valeur que pour le capital et l'analyse d'un capitalisme réellement existant, il est possible de fonder une théorie de la socialisation de la richesse. La théorie libérale confond richesse et valeur. La théorie marxiste ne doit pas rester obnubilée par le fait que le capitalisme tend à réduire toute valeur à celle destinée au capital. Ce que nous avons appelé « valeur » des services non marchands représente « ce qui existe aussi, mais sous un autre aspect, dans toutes les autres formes sociales historiques, à savoir le caractère social du travail, pour autant que le travail existe comme dépense de force de travail "sociale" » selon les termes mêmes de Marx [1968, p. 1550]. L'altermondialisme ne pourrait-il trouver là la théorie qui lui manque pour faire des services non marchands un pan essentiel des biens communs à préserver de la convoitise du capital ?

    Notes

    [1] . Ce texte est un extrait de deux articles plus complets [2004-a et 2006] que l'on pourra trouver à : http://harribey.u-bordeaux4.fr et http://harribey.u-bordeaux4.fr.

    Bidet J. [2002], « L'activité non marchande produit de la richesse, non du revenu, Note à propos d'une thèse de Jean-Marie Harribey »,

    http://harribey.u-bordeaux4.fr/travaux/valeur/debat-bidet.pdf.

    [2003], « Objections adressées à Jean-Marie Harribey au sujet de sa théorie des services publics », Débat avec J.M. Harribey, séminaire « Hétérodoxies » du MATISSE, 24 septembre, http://perso.wanadoo.fr/jacques.bidet.
    [2004], Explication et reconstruction du Capital, Paris, PUF, Actuel Marx Confrontation.

    Bidet J., Duménil G. [2007], Altermarxisme, Un autre marxisme pour un autre monde, Paris, PUF.

    voir bibliographie sur ATTAC France


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  • BALI 2007 : CLIMAT ET COMBATS ALTERMONDIALISTES

    sur Bellaciao sous le titre :

    BALI 2007 : DU MAUVAIS CLIMAT A UNE AUTRE PRODUCTION ?

    http://bellaciao.org/fr/article.php3?id_article=58456


    La question climatique a été posée une nouvelle fois à Bali ce mois de décembre 2007. A-t-on repéré l'origine de la production des émissions de gaz à effet de serre au-delà de sa localisation géographique? Non. "On aura même remarqué que, à Bali, et pour la première fois, la Conférence s'adresse aussi bien aux pays développés qu'à tous les autres". Or tous les Etats ne portent pas la même responsabilité. Celle des USA est très importante. Et derrière l'Etat c'est surtout le capital transnational nord-américain qu'il importe de viser comme responsable premier de la dégradation écologique. Or actuellement la pente idéologique et médiatique va à la stigmatisation des individus-consommateurs (qui ont certes leur part de responsabilité au "Nord") et la convocation indistincte de tous les Etats et, bien que ce ne soit pas dit explicitement, de tous les peuples comme responsables des dégâts écologiques du capitalisme débridé.

    La solution, quelque soit les moyens techniques préconisés (cf doc attac 1), ne peut être que sociale et écologique, autrement dit de blocage de l'exploitation salariale avant renversement de tendance comme de la prise en compte d'un alterdéveloppement économe et solidaire (2 ). Une étude de Michel HUSSON (à paraitre prochainement) montre qu'à l'échelle de la planète que capital poursuit l'augmentation des son profit et corrélativement la baisse de la part salariale. C'est là une "injustice" que l'on pourrait qualifier de "structurelle" ou de "systèmique", en tout cas de "première" (car il y en a d'autres). Et la France ne fait pas exception. La part des salaires dans la valeur ajoutée des entreprises n'est que de 65,8 % en 2006 alors qu'elle était de 74, 2 % en 1982, soit un recul de 8,4 points.

    Inverser partout et ensemble cette tendance lourde et mondiale est une nécessité. Il convient aussi d'orienter autrement le mode de production de biens et service. Ce qui revient à introduire de nouveaux critères (3) fort différents que ceux de la rentabilité et l'obsolescence des biens dès la fabrication. Des critères plus compatibles avec la logique de service public (4).

    Christian DELARUE Membre du CA d'ATTAC France

    1) CONFÉRENCE DE BALI SUR LE CHANGEMENT CLIMATIQUE, IL Y A LOIN DE LA COUPE AUX LÈVRES

    http://www.france.attac.org/spip.php?article7984

    2) « Altercroissance/alterdéveloppement : de la critique du mal-développement aux pistes alternatives » Conférence-débat Muzillac du 25 sept 2005 avec Jean AUBIN et Christian DELARUE

    http://rennes-info.org/Altercroissance-alterdeveloppement.html

    3) critères d'une autre production : Cf. « Une autre économie orientée vers le développement humain »

    http://rennes-info.org/Une-autre-economie-orientee-vers.html

    et : « Pour une pleine intégration de la dimension écologique dans l'orientation d'ATTAC »

    http://rennes-info.org/Pour-une-pleine-integration-de-la.html

    4) Réorienter les services publics pour satisfaire les besoins popûlaires dans les quartiers délaissés

    http://bellaciao.org/fr/article.php3?id_article=57185


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  • DEUX CRITIQUES DE LA "SOCIETE DE MARCHE"

    Avec le temps les terminologies qui caractérisent les sociétés et les économies changent : On n'oppose plus guère capitalisme (son mode de production) et socialisme . De même « l'économie mixte » (combinant secteur privé marchand et secteur public étatique) a laissé place à « l'économie plurielle » (qui a ajouté un "troisième secteur" dit « économie solidaire » à "l'économie mixte"). Plus récemment les socio-libéraux et les socio-démocrates ont distingué « économie de marché » et « société de marché ».

    Ils le font pour défendre l'économie de marché mais pas la société de marché. Ils le font aussi par un double souci tactique de positionnement d'une part contre la droite accusée de défendre la société de marché et d'autre part contre le reste de la gauche qui critique le capitalisme. Mais laissons ces aspects pour s'intéresser au fond. Car le fond pose le problème d'aller jusqu'au bout de la démarche et de ne pas se satisfaire de critiques sur les marges qui in fine laisse advenir la société de marche. C'est sans doute la raison qui a fait dire à Isabelle RICHET (1) : "Contrairement au slogan concocté en son temps par Lionel JOSPIN, économie de marché et société de marché sont bien indissociables"

    I - ALTERMONDIALISATION OU LA CRITIQUE QUI LAISSE PLACE A UNE ECONOMIE DE MARCHE ENVAHISSANTE


    Partons de la distinction de Bernard PERRET (2) : "D'un côté, le marché – c'est à dire l'initiative économique privée, la concurrence et le droit à l'enrichissement personnel – est reconnu comme le mécanisme de base d'une économie dynamique susceptible d'assurer l'accroissement continu de la richesse économique. D'un autre côté, il est affirmé tout aussi nettement que le marché ne doit pas englober la vie sociale dans sa totalité, et que tous les aspects du développement social ne se réduisent pas à l'accroissement de la richesse monétaire".

    Cet auteur propose "de valoriser l'échange social non monétarisé (économie familiale et de voisinage, activités philanthropiques, sportives ou artistiques exercées à titre amateur, etc.) pour ne pas sombre dans la société de marché". C'est bien maigre ! Il ajoute : "Les politiques et interventions publiques que l'on associe spontanément à l'endiguement du marché font référence à des objectifs plus traditionnels de régulation économique (encadrement juridique de la concurrence et des activités financières, stabilisation des fluctuations économiques), de lutte contre la pauvreté, l'exclusion et les inégalités ou encore de protection des libertés individuelles dans le travail, sans oublier, bien sûr, la protection de l'environnement. Objectifs essentiels, cela va sans dire, mais la question de la monétarisation de la vie sociale n'est pas posée en tant que telle". Non cet objectif est loin de suffire. Sa faiblesse témoigne de l'évolution de la société française et notamment de la pente idéologique et programmatique du principal parti qui a assumé le pouvoir en France depuis 1981.

    Finalement, ou se situe la différence ? Bernard PERRET (qui défend une position restrictive de « l'économie solidaire ») dit in fine : "Concrètement, cette orientation pourrait se traduire par l'encouragement et le soutien de ce que l'on appelle parfois " l'économie solidaire ", à savoir les modes de production des services collectifs qui reposent sur l'entraide sociale, les solidarités communautaires et l'initiative citoyenne". Le coopérativisme sous ses diverses variantes, lui-même parti prenante de l'économie de marché, viendrait donc circonscrire le marché des firmes. C'est de l'altermondialisation pas de l'altermondialisme!(3) Avec cette logique, nous n'allons pas vers un autre monde, nous aménageons ce monde aux marges! Le capital règne, l'économie de marché règne, mais une place aux marges est laissé à "l'économie solidaire"


    II - ALTERMONDIALISME OU LA CRITIQUE QUI CIRCONSCRIT LE MARCHE ENVAHISSANT ET DOMINANT


    - SUR LE MARCHE DES BIENS ET SERVICES :

    Si l'on accepte l'économie de marché mais pas la société de marché cela semble signifier non seulement une "critique de l'argent" mais un refus de la généralisation de la marchandisation donc de l'échange marchand . L'échange de valeur marchande passe par la monnaie mais l'échange de valeur d'usage aussi. Dans un cas il s'agira de prix (de marché), de clientèles (solvables voire fortunées), dans l'autre il s'agira de services publics ou des entreprises publiques avec des tarifs (réglementés) et d'usagers qui peuvent aussi être des citoyens. Pour ne pas en rester à des banalités il faut dire clairement que l'économie de marché a sa place mais pas toute la place . Autrement dit elle doit laisser place à une autre logique que la sienne sans chercher à la dominer ou la subvertir. Pour être plus précis encore, la logique de service public fondée sur d'autres critères que la logique marchande peut elle aussi trouver sa place dans une "société mixte" non marchandisée ni privatisée à outrance. C'est que défendaient le PS de Mitterrand avant 1986 . De même les entreprises nationalisées peuvent le rester. L'appropriation privée de tous les grands moyens de production n'est pas un dogme libéral à suivre.

    - SUR LE MARCHE DE LA FORCE DE TRAVAIL :

    Défendre l'économie de marché et la concurrence sans généralisation donc sans passer à la "société de marché" devrait permettre de ne pas soumettre les humains, la force de travail salariée à la marchandisation ce qui suppose l'existence d'un code du travail digne de ce nom pour les salariés du privé et un statut de la fonction public non démantelé et calé sur les principes du privé et de la marchandisation totale et absolue. Dans ce cas c'est l'économique qui domine les humains agenouillés devant un Dieu Economie avec son bréviaire : concurrence, flexibilité, se valoriser, se vendre, travailler plus, se soumettre. Les marxiste nomme de double processus contradictoire le fétichisme. Le travailleur perd sa majuscule d'humain (chute, perte, agenouillement) devant les fétiches qui gagne une majuscule en surplombant les humain : Entreprise, Economie, Rentabilité, Retour sur investissement, Concurrence des marchés, Contrôle hiérarchique, Technologie, Compétence (et non qualification) etc.

    Derrière "l'économie plurielle" (comme auparavant derrière "l'économie mixte") se cache la domination de l'économie capitaliste, une économie  historiquement fondé sur l'exploitation du salariat et sur le profit et en phase néolibérale sur l'extension mondiale de la finance.

    Christian DELARUE
    Membre du CA d'ATTAC France

    1) Isabelle RICHET in Les dégâts du libéralisme - Etats-Unis: une société de marché Textuel

    2) Bernard PERRET in Refuser la société de marché, qu'est-ce à dire?
    http://pagesperso-orange.fr/bernard.perret/ONU.htm

    3) L'altermondialisme souligne les amiguités de l'économie sociale et solidaire :

    A titre d'exemple je reprends ici le propos de Gabriel MAISSIN (*): L'économie sociale et solidaire est marquée par une sorte d'ambiguïté que l'on retrouvera dans toutes ses composantes. Il n'est pas simple d'échapper aux logiques du système au sein duquel on agit. Que ce soit la logique de l'instrumentalisation par les pouvoirs publics (qu'ils soient locaux, nationaux ou européens...), celle de la mise en concurrence avec les firmes privées ou celle de la logique financière du capital.

    * dans son commentaire du livre de Thomas COUTROT "Démocratie contre capitalisme"
    http://politique.eu.org/archives/2006/02/12.html

     

    4) Critiques de "l'économie plurielle"

    L'altermondialisme n'est pas soluble dans le néosolidarisme.
    http://www.bellaciao.org/fr/article.php3?id_article=27288

     

    Vous critiquez l'Economie sociale et solidaire mais n'osez pas vous dire écosocialiste !
    http://www.bellaciao.org/fr/article.php3?id_article=23958

     

     


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  • L'UNIVERSALISATION DES CRITERES FRANÇAIS DU SERVICE PUBLIC EST-ELLE POSSIBLE?

    ELEMENTS DE DISCUSSION

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    On dit que les services publics sont une particularité française et qu'il est difficile en conséquence de vouloir étendre tel quel au reste du monde. Il me semble pourtant que les trois grands éléments définitionnels du service public peuvent être généralisés avec quelques adaptations afin de créer un système mondial hiérarchisé de service public permettant de garantir aux populations un accès de qualité aux biens et services essentiels pour vivre confortablement. Pris conjointement ces éléments heurtent frontalement la marchandisation généralisée des biens et services sur la planète ainsi que l'appropriation privée de leurs productions.


    1 - L'ELEMENT FONCTIONNEL caractérise le but poursuivi par les services public :

    Il s'agit d'une activité d'intérêt général et non d'une activité orientée vers le profit d'une personne privée. Il s'agit prioritairement de satisfaire les besoins ordinaires des usagers hors de la sphère marchande. Ces besoins sont certes variables dans le temps et dans l'espace mais les humains ont tous besoin de se loger, d'accéder à l'eau, de s'instruire, de se déplacer, de communiquer, d'accéder aux loisirs et à la culture, etc. Pour ce faire l'exigence de solvabilité sera en principe réduite par un système tarifaire - par nature différent du mécanisme aveugle des prix du marché - au point de rendre le cas échéant le service totalement gratuit.

    Le but de l'intérêt général justifie aussi des sujétions spécifiques de fonctionnement du service – service conçu alors non plus comme activité mais comme organisation. Ces sujétions se retrouvent dans l'élément matériel.

    2 - L'ELEMENT MATERIEL caractérise l'application d'exigences particulières inscrites dans le droit sous forme de normes.

    Je donne ici un autre sens à cet élément car le droit français évoque lui la référence à un régime juridique exorbitant du droit privé. Il y a là une particularité qui tient à l'existence d'un droit administratif différent du droit privé, du « droit du marché ». Sur le plan du fonctionnement un service public ne saurait fonctionner avec les mêmes règles qu'une entreprise privée ordinaire agissant pour accroître le profit et en concurrence avec les autres entreprises du marché. La question du fonctionnement du service concerne aussi le statut des personnels, lequel pose des règles et des garanties permettant de dégager plus ou moins la force de travail employée dans et pour le service public du statut ordinaire de simple marchandise qui demeure, à cause des insuffisances du droit du travail, la « vérité » du statut de la force de travail dans les entreprises privées.

    3 - L'ELEMENT ORGANIQUE indique que l'activité est prise en charge par une personne publique ou une entreprise publique.

    Cela découle nécessairement de la bonne application de l'ensemble des éléments précédents. Une personne privée gérant un service public contrôlé par la puissance publique ne saurait avoir les mêmes caractéristiques qu'une personne publique locale ou nationale. On y trouve des exigences de rentabilité qui rapproche de la recherche du profit et qui pervertissent la mission de service public. La valeur d'usage tend relativement à s'effacer devant la valeur d'échange. Autrement dit, l'usager tend à se transformer en client avec le regard « commercial » et intéressé vers le portefeuille... On y trouve aussi des règles de travail plus « souples » qui signifient que la vente de la force de travail se rapproche beaucoup plus du dur statut de marchandise comme dans les sociétés privées.


    Christian DELARUE


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